Je rejoins le Meido
L'eau l'environnait de toute part tandis que les profondeurs ténébreuses du lac l'engloutissaient. Atsuhito gardait obstinément la bouche fermée, sentant le peu d'air qu'il avait réussi à happer se réduire. Bientôt il n'en eut plus et s'agita dans un ultime soubresaut de panique et de rage. Sa tête émergea alors de l'eau et tant ses mains que ses pieds trouvèrent appui sur des rochers : il était à une extrémité du lac, en eaux peu profondes. Non loin bruissait joyeusement une cascade.
Sous la cascade, de dos, se tenait une femme superbe de haute taille, à la peau de nacre et aux longs cheveux noirs. Chacune de ses courbes, chacun de ses gestes témoignaient d'une sensualité épanouie qui renvoyait au stade de brouillon mal dégrossi les artifices de la jeunesse. Une gamine de vingt ans aurait été incapable de subjuguer comme la femme qui se tenait là le faisait naturellement. Le senku en resta bouche bée tandis que l'apparition, ayant senti sa présence, s'étira en levant les bras et tourna la tête juste assez pour lui lancer un regard plein de promesses voluptueuses.
Ah, ce n'est pas le moment !
Une douleur sur le haut du crâne d'Atsuhito vint accompagner ces quelques mots. La vieille venait de lui donner un coup avec son bâton noueux. Le senku se redressa et soupira en réalisant que la femme sous la cascade avait disparu. Il ne restait que la vieille perchée sur un rocher. Le samouraï s'assit à son tour sur un rocher en se massant le crâne.
"- Puisque tu as toujours ton fagot, autant faire un feu.
- Avec du bois trempé ? Dans un lac ?
- Il y a un problème ?
- Non, c'est juste que je discerne une incompatibilité.
- Je te croyais plus ambitieux."
Atsuhito haussa les épaules et afficha un air perplexe lorsque la vieille fit un tas sur l'eau avec son fagot de bois et qu'il se mit à crépiter joyeusement. Le samouraï se massa le front, sentant poindre un mal de tête.
"- A ton avis, pourquoi j'ai pu allumer ce feu ?
- Aucune idée.
- Parce que je l'ai décidé.
- Je ne peux pas faire ça : je ne sais pas où nous sommes, où nous allons, quelles sont les règles. Surtout je ne suis pas seul à décider et pas en mesure d'imposer ma décision.
- Je ne suis pas seule ici, et je ne suis de loin pas la plus puissante. Juste une vieille femme. Mais, quoiqu'il arrive il m'appartient de décider ce que je veux. J'ai donc allumé ce feu sur le lac. Ce qui risque d'ailleurs de te poser un problème.
- Lequel ?
- Les flammes n'apprécient pas d'être sollicitées au milieu de l'eau. Elles pourraient t'en tenir rigueur.
- C'est vous qui avez allumé le feu.
- Moi ? Va leur expliquer..."
Sur ces mots le corps de la femme se troubla, comme si une onde passait sur sa peau et ses vêtements. L'instant d'après il n'y avait plus rien hormis les flammes qui s'agitaient, menaçantes. Elles décidèrent de faire part de leur contrariété en atteignant en un battement de cil une taille gigantesque. Atsuhito se releva promptement et atteignit rapidement les eaux profondes où il plongea. Mais il n'y avait plus d'eau, que les ténèbres. Au coeur des ténèbres, un embrasement. Et au coeur de l'embrasement une silhouette hurlante rongée par les flammes.