Le premier dessin représente un Kyuden, niché au creux de montagnes enneigées, Au loin, à une demi-journée de marche, un grand lac, majestueux.
L'ensemble est vue du dessus, depuis un promontoire, en hauteur.
Les murs de la forteresse s'élèvent, exceptionnellement hauts, et épais.
Entre eux, de nombreuses maisons, des rues sinueuses et encombrées, où l'on peut distinguer marchands, samourais, et charrettes, livreurs d'eau et serviteurs affairés... Au centre du réseau de rues, un imposant palais , sobre et magnifique, aux toits pourpres, en étages, et la Grande Académie de Magie.
La scène, détaillée, est figée sur le papier - mais il n'est pas difficile d'imaginer le tout en mouvement, l'animation qui devait régner là...
An 401 du calendrier Impérial - Kyuden Ryushin
"SAAAYYYAAA-CHANNNNN !!"
La fillette eut à peine le temps de tourner la tête et de voir sa plus jeune cousine arriver à toute vitesse, avant de lui sauter dessus.
Elle en eut le souffle coupé, et les deux boulèrent sur quelques mètres sous l'impact, envoyant valdinguer les parchemins qu'étudiait l'enfant.
Elles manquèrent d'emboutir l'une des étagères de la bibliothèque de l'académie.
La victime essayait de reprendre tant bien que mal sa respiration, tandis qu'Umi se tenait au dessus d'elle, souriant de toutes ses dents.
- "Il faut que tu viennes - ça va te plaire."
- "Je n'ai pas le temps, Umi-chan..." fit l'autre, sur un ton posé, "j'ai encore de nombreux ouvrages à consulter.."
Umi l'aida à se relever.
- "Tu n'as jamais fini, Saya-chan. Tu passes tout ton temps parmi les rayonnages depuis que tu as appris à lire. On dirait presque que tu veux devenir un livre toi même ! Allez, sors un peu, ça te fera du bien, et j'ai un truc intéressant à te montrer."
La jeune étudiante soupira. Le pire c'est que c'était vrai. Autant Umi était-elle extravertie, pleine d'énergie, autant Saya était elle plus réservée, et perpétuellement fourrée à l'académie.
Mais la dernière fois que sa cousine avait voulu lui montrer un "truc intéressant", elles étaient toutes deux allées jusqu'aux portes du Kyuden fortifié - ouvertes, fait rare, le temps de laisser passer un convoi de marchandise. Elle avaient alors fait face à Ningyu.
Le golem gardait les portes depuis des années et des années, imperturbable. C'était un monstre de puissance, véritablement terrifiant, mais les deux petites l'avaient toujours connu là, et n'en avaient donc pas conscience.
Aussi Umi s'amusait-elle à lui poser toutes sortes de questions - "Et pourquoi tu dis jamais rien ?"; " Et pourquoi tu as un gros nez ?".
Ningyu ne répondait pas évidement pas , bras croisés, regard fixé sur l'horizon. A une reprise, toutefois, il avait posé son regard glacial sur elles, sans mot dire, avant de regarder à nouveau au loin. Saya, elle, avait secoué la tête, attendant froidement que le moment passe.
La voix de sa cousine la ramena à la réalité.
- "Si si, je t'assure, c'est vraiment intéressant, tu verras."
La fillette céda, et rangea les ouvrages.
Elle suivit ensuite tant bien que mal Umi, à travers les rues du palais, manquant d'emboutir les heimins et serviteurs qui pouvaient se trouver là, zigzaguant entre les novices.
"A chaque fois c'est moi qui te force à sortir, Saya-chan" la gronda Umi.
"Tu es tout le temps sérieuse, toute pâle, tu ne ris jamais...
Tu n'as même pas bronché lors de nos dernières classes, lorsque Keiko-san a raté son kido de l'eau et a trempée notre sensei des pieds à la tête !"
"Laisse ma sœur en dehors de cela", grogna en retour une Saya essoufflée.
Elles virèrent dans un petit passage qui longeait la grande Académie et s'arrêtèrent.
Umi imita l'air sévère de sa compagne de route, ajoutant, sur un ton faussement docte
"Si tu continues à passer tout ton temps dans les bibliothèques, tu vas te ratatiner, et devenir toute ridée, comme la vieille Kimiko-sensei. Ton nez deviendra crochu, et tes joues flasques...
Par les dragons, tu auras bien le temps de lire plus tard !"
L'autre la regardait, tapant du pied avec impatience.
- "Et que voulais-tu me montrer ?"
- "C'est par là , tu verras... En grimpant par là jusqu'au mur, en passant par les toits... on devrait y arriver..."
Une dizaine de minutes plus tard, les deux novices avaient pu rejoindre le toit de la muraille basse qui entourait la grande cour de l'académie, sans se faire remarquer.
A plat ventre, leur tête dépassant à peine de la courbure du toit, elle pouvait ainsi observer de loin tout ce qui s'y passait.
- "Tu sais qu'on risque gros si on se fait attraper ici..."
- "Chuuuuut, tu vas comprendre, regarde plutôt !"
Au cœur des jardins de la grande cour, les senseis les plus vénérables de la grande académie Ryushin étaient réunies - une par élément.
Elle faisaient face à petit groupe de samourais, essentiellement des fusuis, agenouillés respectueusement.
- "La cérémonie annuelle de gempukku", expliqua Umi.
"Je t'avais bien dit que ce serait intéressant !
Cela signifie qu'Isawa-sama elle-même va la présider !"
Saya en doutait. Isawa était des plus discrètes, et de plus on la prétendait actuellement à l'autre bout de l'Empire.
Elle allait en faire part à voix haute, lorsque l'air se troubla. Les énergies élémentaires se concentrèrent, un peu en avant des sensei - les deux novices reconnurent les énergies particulières du vide. Ces dernières se firent plus denses, et une silhouette se dessina, dans la lumière.
Isawa-sama, daimyo du clan Ryushin, venait de rentrer de voyage..
Puissante, majestueuse, vêtue du plus beau kimono qu'elles aient jamais vu, elle fit un pas et salua l'assemblée.
Les deux fillettes étaient ébahies, la bouche grande ouverte... et baissèrent promptement la tête lorsque la maîtresse géomancienne lança un regard dans leur direction. Juste à temps.
Elles ne virent pas le sourire ironique qui s'était brièvement dessiné sur le visage d'Isawa, avant que cette dernière ne se concentre à nouveau sur ses tâches.
La cérémonie commença.
Ce jour-là, Saya comprit que tout ne s'apprenait pas dans les livres.